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Rembrandt dessinateur & graveur

Autoportraits: La période de Leiden

I - Introduction

    Rembrandt fut l'un des peintres qui réalisa le plus d'autoportraits tout au long de sa vie. Il nous est parvenu moins d'une dizaine de dessins pour une quarantaine de gravures et une quarantaine de peintures d'autoportraits proprement dits auxquels il faut ajouter environ une dizaine d'autoportraits qu'il inclut dans des peintures ou des gravures consacrées à des scènes de genre. Ce qui signifie que la plupart des dessins ou études préparatoires ont été perdus. Si à tous ces autoportraits on rajoute les portraits peints par ses élèves dans son atelier, Rembrandt est un des peintres baroques dont le portrait a été le plus dessiné, gravé et peint.

    Les autoportraits occupent une place particulière dans son œuvre. Ils lui ont permis de mettre au point sa technique de gravure à l'eau-forte, de poursuivre tout au long de sa vie ses recherches sur la peinture, d'étudier le visage et l'expression des sentiments, ils lui ont permis d'exprimer sa volonté d'indépendance et de liberté par rapport aux conventions établies, d'établir sa notoriété, de gagner de l'argent en les vendant car beaucoup de ses contemporains désiraient un portrait du maître et enfin ils jouèrent pour lui le rôle de journal intime et dévoilent sa personnalité.

   On peut, pour simplifier, distinguer trois périodes :  
   - la période de Leiden (1620 – 1631). Il ne reste que cinq dessins préparatoires. Il se représenta cinq fois dans des scènes de genre et réalisa vingt-deux autoportraits en gravure et huit autoportraits en peinture.
   - la période d'Amsterdam avant la mise en faillite (1632 – 1658). En peinture et gravure, il se représenta quatre fois dans des scènes de genre avant de réaliser vingt-cinq autoportraits en peinture et onze en gravure.
   - la période d'Amsterdam après la mise en faillite (1659 – 1669). Cette période fut pour Rembrandt une période de grande misère physique et morale. Durant cette période, Rembrandt réalisa onze autoportraits en peinture, un en gravure et deux en dessin.


Signature de Rembrandt

II - La période de Leiden (1620 – 1631)

Le contexte historique (Leiden)


    Pendant que la France et l'Angleterre se déchirent et se ruinent durant la guerre de cent ans (1337 – 1453), les ducs de Bourgogne ont acquis et fondé les Pays-Bas bourguignons à partir de la fin du XIVe et du XVe siècle en regroupant les seigneuries formant les « Dix-Sept Provinces ». Après la domination bourguignonne, les « Dix-Sept Provinces » deviennent, au début du XVIe siècle, les Pays-Bas espagnols. Ils correspondent aux Pays-Bas actuels, la Belgique, le Luxembourg et la région Nord-Pas-de-Calais de la France.

    Pendant la période des ducs de Bourgogne et la première moitié du XVIe siècle, le commerce maritime se développa à partir du port d'Anvers et sa région devint le centre du développement industriel, du développement de l'imprimerie, dont la maison de Plantin à Anvers, fondée par Christophe Plantin (1520 – 1589) fut le fer de lance, et du développement de l'art (peinture, gravure et sculpture). La peinture flamande se développe dans les villes de Bruges, Gand, Anvers et Bruxelles. Les principales figures en sont : Jan van Eyck (c.1390 – 1441), Hans Memling (c.1435-40 – 1494), Jérome Bosch (c.1450 – 1516) et Pieter Brueghel dit l'Ancien (c.1525 – 1569). On doit à la peinture flamande le développement de la peinture à l'huile et le réalisme des représentations. Pieter Brueghel peintre et graveur, l'un des fondateurs de l'école flamande, disait « Peignez ce que vous voyez ». Carel van Mander (1548 – 1606), peintre et écrivain flamand raconte au sujet de Brueghel :  « En compagnie de son ami Franckert, Brueghel aimait aller visiter les paysans, à l'occasion de mariages ou de foires. Les deux hommes s'habillaient à la manière des paysans, et de même que les autres convives, apportaient des présents, et se comportaient comme s'ils avaient appartenu à la famille ou étaient de l'entourage de l'un ou l'autre des époux. Brueghel se plaisait à observer les mœurs des paysans, leurs manières à table, leurs danses, leurs jeux, leurs façons de faire la cour, et toutes les drôleries auxquelles ils pouvaient se livrer, et que le peintre savait reproduire, avec beaucoup de sensibilité et d'humour, avec la couleur ... Il connaissait bien le caractère des paysans et des paysannes ... Il savait comment les habiller avec naturel et peindre leurs gestes mal dégrossis lorsqu'ils dansaient, marchaient, se tenaient debout ou s'occupaient à différentes tâches ... ». L'école d'Anvers au XVIIe siècle est représentée par Pierre Paul Rubens (1577 – 1640), Antoine van Dyck (1599 – 1641) et Jacob Jordaens (1593 – 1678). Rembrandt fut un peintre dans la plus parfaite tradition de l'école Flamande.

    Une partie des dix-sept provinces des Pays-Bas espagnols à majorité protestante se soulevèrent contre l'Espagne ultra-catholique durant la guerre de quatre-vingts ans de 1568 à 1648. Leiden, seconde ville de Hollande et haut lieu de l'industrie des tissus est assiégée par les troupes espagnoles en 1573-74. Leiden ne fut pas prise, le siège fut levé le 3 octobre 1574, mais un quart de sa population mourut de faim et de maladie durant le siège. En 1581, sept provinces menées par la Hollande proclament leur indépendance et prennent le nom de République des Sept Provinces-Unies des Pays-Bas. Une trêve est signée à Anvers en 1609 et dura douze ans jusqu'en 1621. Si pendant la guerre de quatre-vingts ans (1568 - 1648), eurent lieu de nombreuses batailles terrestres entre les Provinces-Unies et l'Espagne, de très nombreuses batailles navales opposèrent les Provinces-Unies à l'Espagne et au Portugal pour briser l'hégémonie navale de l'Espagne et du Portugal et pour prendre le contrôle des routes maritimes. Six batailles navales opposèrent les Provinces-Unies à l'Espagne en 1573-1574. En 1588, des navires des Provinces-Unies participèrent aux côtés de la flotte anglaise à la lutte contre l'Invincible Armada espagnole. Deux batailles navales opposèrent les Provinces-Unies au Portugal entre 1601 et 1606. Trois batailles navales opposèrent les Provinces-Unies à l'Espagne entre 1606 et 1615. Et enfin, dix batailles navales opposèrent les Provinces-Unies à l'Espagne et au Portugal entre 1621 et 1647. La guerre prit fin par le traité de Munster en 1648, l'Espagne reconnaissant l'indépendance des Provinces-Unies. Après 1648, l'Espagne et le Portugal avaient perdu toute hégémonie sur les mers du globe.

    Les guerres de religion qui provoquèrent le pillage d'Anvers en 1576, puis son siège en 1585 achevèrent la suprématie de la ville. L'intolérance religieuse des catholiques fit émigrer les éléments les plus dynamiques de la population, les savants, les imprimeurs et la République des sept provinces unies hérita de l'industrie et du commerce des Pays-Bas méridionaux (la Belgique). La ville de Leiden connut une très rapide expansion, peuplée de 15000 habitants en 1573, elle comptait 45000 habitants en 1622. Pour remercier Leiden de sa résistance héroïque lors du siège de 1574, Guillaume I d'Orange, créa en 1575 l'Université de Leiden qui devint très célèbre et fréquentée par les plus grands penseurs. En plus d'être un grand centre de l'industrie textile, Leiden devint un centre important de l'imprimerie et de l'édition après la venue temporaire de Christophe Plantin invité par l'Université de Leiden et la famille Elzevier venue de Louvain. En 1613, deux théologiens de l'Université de Leiden, Jacobus Arminius et Francescus Gomarus, se querellent sur la question de la prédestination. Les partisans d'Arminius, appelés les remontrants, sont convaincus de l'action terrestre efficace sur un plan divin de l'homme. Ils réussissent à prendre le pouvoir au conseil municipal de Leiden. Dans les Provinces-Unies qui sont majoritairement calvinistes, les deux courants coexistent, les remontrants, calvinistes tolérants mais minoritaires et les contre-remontrants, calvinistes rigoureux. Les Hollandais profitent de la trêve pour panser leurs plaies, se préparer de nouveau à la guerre et régler leurs querelles religieuses. En 1618, le Synode de Dordrecht tranche en faveur des contre-remontrants, aussitôt le gouverneur Maurits prend le pouvoir à Leiden par la force et le père de Rembrandt, remontrant, perd ses fonctions publiques. Si certaines minorités religieuses sont tolérées, leurs membres ne peuvent occuper des postes importants dans la société. Johan van Oldenbarneveldt (1547 – 1619), ancien collaborateur de Guillaume I d'Orange-Nassau, héros du siège de Leiden et un des chefs des remontrants est arrêté sur ordre de Maurice de Nassau, fils de Guillaume I, puis accusé de trahison et exécuté en 1619. Le célèbre humaniste et juriste Hugo Grotius (1583 – 1645) autre chef des remontrants, ancien élève de l'Université de Leiden, est arrêté. Il réussit à s'évader en se cachant dans une malle de livres et à quitter le pays.

    La peste était endémique pendant tout le XVIIe siècle dans les Pays-Bas, avec des pics d'activité. Pour la ville de Leiden, les pics d'activité de la peste se situent en 1624-25, 1635-36, 1655, 1664. Malgré des mesures de confinement par quartiers, la peste décime la ville en 1635-36.

    Si la société hollandaise faisait preuve d'une certaine tolérance vis-à-vis des minorités religieuses et des penseurs (savants, philosophes …), elle se montrait peu tolérante vis-à-vis du mode de vie. Un mode de vie hors du commun était très mal vécu. Nous citerons les exemples des mendiants à Amsterdam et des peintres Torrentius et bien sûr Rembrandt. « En 1613, la municipalité d'Amsterdam avait interdit toute mendicité et ouvert deux établissements de rééducation forcée, le Raphuis pour les hommes et le Spinhuis pour les femmes » (Renouard de Bussierre S. 1986 voir « Autoportrait en mendiant »). Le peintre Johannes Symonsz (Jan) van der Beeck (1659 – 1644) appelé Johannes Torrentius, était un peintre d'Amsterdam. Il était connu comme un des meilleurs peintres de nature morte. Il était considéré comme ayant un mode de vie de libertin, c'est-à-dire remettant en cause les dogmes établis, il était un libre penseur. Il commit l'erreur en 1620 de s'installer à Haarlem ville beaucoup mois tolérante qu'Amsterdam. En 1627, il est arrêté, accusé de blasphème, d'hérésie, d'athéisme, de satanisme, d'être membre des Rose-Croix et de surcroît de graver ou peindre des œuvres érotiques. Il est torturé, mis au cachot et condamné à 20 ans d'emprisonnement. Toutes ses œuvres sont détruites, seule une toile lui survécut, la « Nature morte avec bride de cheval » (1614). En 1629, Charles 1er Roi d'Angleterre, grand admirateur de Torrentius, réussit à obtenir sa libération et le fit venir en Angleterre. Malheureusement, Torrentius, traumatisé par ce qui lui était arrivé, ne réussit pas à se remettre à la peinture. Il revint à Amsterdam en 1642 où il mourut dans la misère en 1644. Rembrandt fut traduit en justice et en 1658, toute la bonne société d'Amsterdam profita de sa mise en faillite pour se débarrasser de lui.

Les débuts de Rembrandt

   On peut appeler cette période (1620 - 1631), la période d'apprentissage et de perfectionnement. Ce fut une des périodes les plus prolifiques. C'est durant cette période qu'il mit au point sa technique de gravure à l'eau-forte et qu'il étudia comment représenter un visage et l'expression des émotions et sentiments.

   Entre 1614 et 1620, Rembrandt est élève à l'école Latine de Leiden. Il s'initie à la calligraphie et au dessin avec un certain Henricus Rievelink (M. Taylor, 2007). En 1620, il s'inscrit à l'université de Leiden sans y être assidu car seuls le dessin et la peinture l'intéressent. En 1621, Rembrandt commence un apprentissage de trois ans chez le peintre de Leiden, Jacob van Swanenburgh (1571 - 1638) et travaille également avec Joris van Schooten (1587 - 1651). Il s'installe un atelier dans le moulin de son père. En 1624, il parfait sa formation en travaillant six mois à Amsterdam chez Pieter Lastman (1583 - 1633) où il s'initia à la peinture italienne dont Lastman était un grand connaisseur, il travaille également avec Jan Pynas (1582 - 1631) ami de Lastman. De retour à Leiden, il fondera son premier atelier situé Langebrug 89 probablement avec Jan Lievens (1607 - 1674), ami d'enfance. En 1628, Gerrit Doo (1613 - 1675) âgé de quinze ans devient son premier élève. Doo était un jeune peintre très doué qui réalisa un portrait de Rembrandt dans son atelier de Leiden. Vers 1629, Rembrandt acquiert une presse et commence une collaboration avec le graveur Jan van Vliet (c.1605 - 1668) de Leiden, collaboration qui se poursuivit plusieurs années après son installation à Amsterdam. Durant sa période de Leiden Rembrandt eut probablement quatre élèves supplémentaires. L'atelier de Rembrandt et Lievens devint très vite leur laboratoire de recherche et une ruche dans laquelle l'activité de chacun stimulait le travail des autres. Rembrandt fut très vite reconnu comme un jeune peintre très talentueux. Dès 1628, Aernout van Buchell (1565 – 1641), humaniste d'Utrecht écrit que Rembrandt était un jeune peintre très prisé et avait une réputation d' « enfant terrible » et il s'inquiétait des conséquences d'un succès trop précoce. Après avoir peint une toile, on lui conseilla de la présenter à un amateur de La Haye, il lui porta la toile et la vendit 100 florins. Après ce premier succès, l'appât du gain l'encouragea à travailler avec la plus grande assiduité. En 1629, Constantijn Huygens (1596 – 1687), homme d'état, poète et musicien de La Haye, s'enthousiasme pour le jeune peintre Rembrandt dont le nom était déjà connu des riches amateurs et collectionneurs.

   Quand un jeune peintre s'était formé, avant de s'installer un atelier, il était supposé faire un voyage en Italie pour découvrir la peinture des maîtres italiens. Mais les modèles préférés de Rembrandt n'étaient ni Apollon ni Vénus, mais un paysan, une serveuse de taverne et tous les pauvres hères que l'on rencontrait dans les rues. Les véritables maîtres de Rembrandt furent la nature et ses dispositions exceptionnelles. Rembrandt dessinait et représentait ce qu'il voyait autour de lui sans chercher à l'embellir, il était un peintre dans la plus parfaite tradition de l'école flamande définie par Pieter Breughel dit l'Ancien, l'un des fondateurs de l'école flamande qui disait « peignez ce que vous voyez ». Le monde de Rembrandt était limité à son atelier qui était son laboratoire de recherche avec ses élèves et ses collaborateurs, sa famille, le quartier dans lequel il se promenait, observait la vie de ses concitoyens et trouvait ses sujets de dessins. Son quartier s'étendit avec le temps à la campagne autour d'Amsterdam et enfin la Bible et ses récits. Rembrandt était très casanier, il ne fit pas de grands voyages. Bien qu'habitant près du port d'Amsterdam, il ne dessina aucun des grands voiliers qui parcouraient le monde et faisaient la richesse d'Amsterdam, seulement les barques et les « skutjes » (voiliers à fond plat équipés de dérives qui étaient caractéristiques de la Frise) qu'il rencontrait sur les canaux lors de ses promenades. Rembrandt était un travailleur acharné, il n'avait pas un grand train de vie et ne faisait aucun effort de présentation. Il était toujours habillé de sa blouse de peintre, pleine de taches d'encre et de peinture et n'était pas gêné de côtoyer les pauvres gens, les clochards … Son ami et mécène Jan Six (1618 – 1700) lui conseilla sans succès de faire des efforts de présentation. Rembrandt aimait l'argent et gagna beaucoup d'argent. Malheureusement pour lui, il avait une grande faiblesse, une addiction, il ne pouvait s'empêcher de dépenser tout son argent pour acheter et collectionner des œuvres d'art.

   C'est probablement durant son passage de six mois cher Pieter Lastman à Amsterdam que Rembrandt est initié à la gravure. En 1625-26, à son retour à Leiden, Rembrandt commence la gravure et imprime ses premières plaques en 1626 et 1627. C'est entre 1628 et 1631 qu'il va développer et mettre au point sa technique de graveur avec Jan van Vliet. Durant la période 1628 – 1631, Rembrandt réalisera environ soixante-dix gravures (dont vingt-quatre autoportraits gravés), soit presque le quart de sa production ! Les années 1630-31 marquent un tournant décisif dans la carrière de graveur de Rembrandt. C'est durant cette période qu'il mit au point sa technique de l'eau-forte en réalisant l' « Autoportrait au chapeau et collerette » et sa technique du report d'un dessin sur une plaque de cuivre en gravant la plaque « Diane au bain ».
   Sa série d'autoportraits met en évidence l'extraordinaire imagination de Rembrandt qui ne dessinait ou ne gravait jamais deux fois de la même manière un sujet donné. Notons pour finir que lorsque Rembrandt dessinait ou peignait un autoportrait, il se regardait dans une glace et le dessin ou la peinture étaient inversés. Mais dans le cas de tous les autoportraits gravés, les tirages ne sont pas inversés et Rembrandt nous apparaît tel que nous aurions pu l'observer. En effet, s'il gravait d'après un dessin préparatoire, pour garder la spontanéité de son trait, il n'inversait pas son dessin lorsqu'il gravait, et donc le dessin gravé sur la plaque est également inversé et le tirage n'est pas inversé, et s'il gravait sa plaque en se regardant dans un miroir et non d'après un dessin préparatoire, son autoportrait gravé sur la plaque était inversé et le tirage résultant est de nouveau un autoportrait non inversé. Bien que la plupart des dessins préparatoires aient disparu, il existe quelques cas montrant que la gravure faite d'après un dessin préparatoire n'est pas inversée et donc le tirage correspond à un portrait de Rembrandt non inversé. Enfin, certains de ses autoportraits gravés ont peut-être été travaillés en collaboration avec Jan van Vliet ou certains de ses élèves et certains sont en fait des portraits faits par ses élèves.

   Le contraste entre les dessins des différentes périodes est saisissant. Durant la période de Leiden, il se montre comme un étudiant désinvolte désirant découvrir la vie. Plus tard, avant sa mise en faillite, il se montre en peintre établi. L'autoportrait correspondant à la période de la mise en faillite montre le choc hallucinant que subit Rembrandt et le dernier le montre sans fard comme un vieillard.

   Rembrandt inclut ses premiers autoportraits dans des peintures de groupes. Citons par exemple son autoportrait dans « La lapidation de Saint Stéphane » (1625), son autoportrait dans la « Scène historique » (1626) et son autoportrait dans « Laissez venir à moi les petits enfants » (1627), son autoportrait dans « David remettant la tete de Golith à Saul » (1627). Signalons également la peinture « Le peintre dans son atelier » (1628) bien que ce ne soit pas un autoportrait. Entre 1628 et 1631, il réalisera huit autoportraits en peinture.

   Dans ses premiers autoportraits peints, Rembrandt nous livre avec beaucoup de naturel les grands traits de sa personnalité. Dans l' « Autoportrait en soldat riant » (circa 1628), il nous montre son côté joueur, qu'il avait un grand sens de l'humour, qu'il aimait faire la fête, se déguiser et n'avait pas peur de l'autodérision. Dans, par exemple, l' « Autoportrait au visage ombré » (circa 1628), ou dans l' « Autoportrait la bouche ouverte » (circa 1629), Rembrandt se peint une partie du visage et les yeux dans l'ombre. Cette manière peu commune montre de la part de Rembrandt une certaine timidité et une certaine malice et même provocation. En effet il semble dire : « Vous ne me voyez pas, mais moi je vous vois ! ». Dans les peintures, « Autoportrait au béret orné d'une plume » (circa 1629) et « Autoportrait en costume oriental avec un chien » (circa 1631) Rembrandt se déguise. Au cours de sa vie, il gardera cette manière, la malice et la provocation dans certains de ses autoportraits. Par contre dans ses premiers autoportraits gravés de la période de Leiden, on retrouve souvent une partie importante de son visage qui disparaît dans les ombres trop intenses, mais ceci est dû à son absence de maîtrise de l'eau-forte qu'il découvre. Il ne sait pas encore faire des dégradés ou des détails dans les ombres ou les zones sombres.

    La caractéristique première des dessins de Rembrandt est la liberté du trait. La technique de gravure qui permet de conserver cette liberté du tracé est l'eau-forte. De nos jours, pour réaliser une eau-forte, le graveur recouvre une plaque de métal (du cuivre ou du zinc, le cuivre dans le cas de Rembrandt) d'un vernis. Lorsque le vernis est sec, le graveur dessine sur la plaque avec un pointe de métal très fine qui enlève le vernis. Lorsque le dessin est fini, il protège le dos de la plaque avec du vernis et la plonge dans de l'acide qui va attaquer le métal là où le vernis a été enlevé. Lorsque l'attaque à l'acide est finie, il enlève le vernis et les traits du dessin apparaissent en creux dans le métal. Le graveur recouvre la plaque d'encre, puis essuie la surface de la plaque de telle manière que l'encre reste uniquement dans le creux des traits. Le graveur place la plaque sur la presse, la recouvre de papier humide et la passe dans la presse qui produit une forte pression. La pression due à la presse comprime le papier dans le trait de la plaque et l'encre se fixe sur le papier.

   Avant de présenter la période de Leiden, nous présenterons la technique de l'eau-forte au moment où Rembrandt commença à graver. Pour illustrer la période de Leiden, nous présenterons « Les autoportraits à tête découverte », puis « Les autoportraits à tête couverte » et « Les autoportraits d'expression de sentiment ou d'émotion » et enfin « L'autoportrait au chapeau et collerette » qui permit à Rembrandt de mettre au point sa technique de l'eau-forte. On remarquera les progrès exceptionnels réalisés par Rembrandt au cours des trois années 1628, 1629 et 1630 en admirant les gravures « Autoportrait aux cheveux volants » (circa 1631), « Autoportrait à l'épais chapeau de fourrure » (1631), « Autoportrait les yeux écarquillés » (circa 1630) et enfin l'« Autoportrait au chapeau et collerette » (1631). Nous terminerons en présentant l'importance de la collaboration de Rembrandt avec J. van Vliet et l'apport de Rembrandt à la technique de l'eau-forte.


La technique de l'eau-forte avant Rembrandt

   La technique de l'eau-forte fut développée par les orfèvres arabes en Espagne et en Syrie à Damas. Le métal est recouvert d'un vernis plus ou moins transparent qui reste mou, appelé le vernis mol. L'utilisation d'un vernis mou rend le travail très délicat, en effet si l'on pose la main ou les doigts sur le vernis celui-ci colle au doigt et quand on verse l'acide sur la plaque, l'empreinte du doigt se retrouve gravée. L'acide utilisé est l'acide nitrique, anciennement appelé eau-forte, ce qui donna le nom au procédé de gravure. De nos jours, pour attaquer le cuivre, on utilise le perchlorure de fer beaucoup moins toxique que l'acide nitrique. De nos jours, après avoir protégé le dos de la plaque, celle-ci est immergée dans un bac qui contient l'acide.

   Masso Finiguerra (1426 – 1464), orfèvre et graveur italien, voulut contrôler son « Triomphe et le Couronnement de la Vierge, enlevée au ciel et entourée d'anges » (1452), avant de remplir les traits de nielle, il voulut essayer ce que produiraient sur une feuille de papier humide les figures gravées en remplissant les traits avec de la fumée d'une chandelle. Le papier rendit fidèlement le sujet tracé sur le métal. Cette technique, qui consiste à remplir les creux gravés sur le métal avec de l'encre, s'appelle la taille-douce. Le nielle est un sulfure d’argent noir que l'on incruste dans les gravures d’un métal précieux. Andrea Mantegna (1431 – 1506), peintre et graveur italien est avec Masso Finiguerra, considéré comme l'inventeur de la gravure sur cuivre (chalcographie) en Italie. Il grava au burin (voir par exemple « La descente aux limbes » de 1475). La gravure sur cuivre se diffusa en Italie, en Bourgogne, dans les Flandres et le long de la vallée du Rhin.

   Daniel Hopfer (1470 – 1536), armurier et graveur allemand, fut le premier qui eut l'idée d'utiliser la technique de l'eau-forte pour imprimer des images (voir par exemple « Trois vieilles femmes battant le diable »). La gravure sur plaque de métal se développa au début du XVIe siècle (1513) en Suisse avec Urs Graff (1485 – 1527), en Allemagne avec Albrecht Dürer (1471 – 1528) puis en Italie, à partir de 1530, avec Francesco Mazzola (1503 – 1540). Elle devint très vite un des moyens favoris des peintres graveurs. Au début du XVIIe siècle, le graveur hollandais Simon Frissius (c.1570-75 – c.1628-29) (voir par exemple « Paysage »)  et le graveur suisse Matthäus Merian dit l'Ancien (1593 – 1650) qui commencèrent l'eau-forte vers 1610-15 sont considérés comme les premiers grands graveurs à l'eau-forte qui obtenaient des tirages que l'on pouvait comparer aux tirages obtenus en gravant au burin (A. Bosse 1645).

    Pour reproduire en gravure, un dessin, une peinture ou un paysage, il est tout d'abord nécessaire de dessiner l'inverse du dessin, de la peinture ou du paysage. Puis, le graveur reporte sur la plaque le dessin inversé pour que le tirage sur le papier corresponde au dessin original. Pour cela, il est nécessaire de réaliser un calque ou un contre-tirage du dessin inversé à graver sur le vernis de la plaque pour obtenir un tirage non inversé. Mais Rembrandt qui voulait garder la liberté du trait et la spontanéité d'un premier dessin, ne réalisait jamais deux fois le même dessin lors d'une étude d'un sujet ou d'un thème et dessinait directement sur la plaque sans inverser le dessin lorsqu'il gravait. Ses tirages apparaissent alors inversés, ce qui ne le dérangeait aucunement. Néanmoins, il réalisa quelquefois le report d'un dessin sur une plaque pour réaliser une gravure, ce qui revenait à copier son dessin sur une plaque. Il s'initia à la technique du report en réalisant la gravure très grossière « Saint Paul en méditation » (1629) avant de mettre au point sa technique du report lors de la gravure « Diane au bain » (1630) que nous détaillerons dans le chapitre « Scènes de vie intimes ».

Jacques Callot

   Le graveur français Jacques Callot (1592 – 1635) améliora considérablement la technique de l'eau-forte en introduisant :   
   1) en 1616-17, l'utilisation d'un vernis dur transparent utilisé par les luthiers de Florence et de Venise, ce vernis dur rend la gravure à l'eau-forte beaucoup plus facile, car l'on peut toucher le vernis ou poser quelque chose dessus sans l'abîmer. Après avoir verni la plaque avec le vernis dur, l'on doit le sécher en chauffant la plaque. Ce vernis fut très rapidement adopté par de très nombreux peintres graveurs du XVIIe siècle et son utilisation resta en usage jusqu'au début du XVIIIe siècle (A. Bosse, 1645, édition de 1743).
   2) L'utilisation de l'échoppe, outil proche du burin, emprunté aux orfèvres qui permet de réaliser des pleins et des déliés. A la différence du burin qui a une section carrée, rectangulaire ou en losange et est taillé en biseau, l'échoppe a une section ronde et est également taillée en biseau (A. Bosse, 1645).

   3) la technique des morsures multiples à l'acide. En général, elle consiste à réaliser trois attaques successives pour donner trois intensités différentes aux traits et créer des dégradés et/ou obtenir l'impression de volume. Plus on laisse la plaque dans l'acide, plus profonde est l'attaque. Dans un premier temps, on réalise une attaque relativement courte puis on lave la plaque à l'eau, on enlève le vernis de la zone à protéger avec un charbon de bois de saule bien doux trempé dans l'eau, en faisant attention de ne pas rayer la plaque, puis on recouvre la zone dont on a enlevé le vernis pour la protéger de l'acide avec le mélange suif-huile que l'on applique au pinceau (le suif est de la graisse d'animaux herbivores, que l'on recueille par fusion; cette graisse fondue servait autrefois à la fabrication de chandelles, de bougies, d'onguents, de savons et de produits de graissage). On verse de nouveau de l'acide sur la plaque et on obtient une deuxième morsure plus profonde. Enfin, on répète une troisième fois la procédure (A. Bosse, 1645).

Gravure obtenue avec la technique des morsures multiples (A. Bosse 1645)

    L'utilisation d'un vernis transparent permet une autre manière, beaucoup plus simple que la technique des morsures multiples, d'obtenir des traits d'intensité différente pour rendre le volume. On fait trois attaques différentes avec des temps différents que l'on combine avec l'utilisation de pointes de grosseurs différentes. Dans un premier temps, on dessine très légèrement les traits les moins intenses correspondant aux zones généralement les plus éloignées du paysage et/ou à des lignes de construction, puis on fait une attaque assez courte à l'acide et enfin on enlève le vernis de toute la plaque et l'on peut éventuellement faire un tirage pour visualiser cette première étape. Après avoir dégraissé puis reverni la plaque, on dessine plus lourdement les traits correspondant aux zones intermédiaires et on fait une seconde attaque plus longue dans l'acide. On enlève de nouveau le vernis et on fait éventuellement un tirage pour visualiser les deux premières étapes. Enfin, on dégraisse et revernit la plaque pour dessiner une nouvelle fois et faire une troisième attaque à l'acide qui sera la plus longue et produira les traits les plus sombres correspondant souvent aux premiers plans et à des zones ombragées du paysage.

    Jacques Callot était un graveur très célèbre.

    En 1625, il reçoit une importante commande de l'infante Isabelle Claire Eugénie, fille de Philippe II, et gouvernante des Pays-Bas : celle-ci souhaite en effet qu'il immortalise la victoire espagnole lors du siège de Breda et de la reddition de la ville.

     Pendant son séjour aux Pays-Bas, il rencontra et échangea avec des collègues peintres et graveurs. Jacques Callot avait gravé entre autres des clochards. Rembrandt connaissait et admirait ses gravures de clochards et en collectionna. Si ses innovations techniques ne furent publiées dans le « Traité des manières de graver en taille douce » qu'en 1645 par Abraham Bosse (c.1603 – 1676), élève de Jacques Callot, elles devaient avoir été diffusées par le bouche-à-oreille et étaient probablement parvenues à Rembrandt. 

   Lorsque Rembrandt commença la gravure en 1625, il n'existait ni produits ni méthode standards pour graver et chaque graveur avait sa méthode et ses propres produits. La pratique de la gravure au XVIIe siècle était très complexe et demandait un travail considérable. Il n'existait pas de plaques de cuivre prêtes pour la gravure. Il fallait savoir bien choisir son cuivre, puis faire fabriquer et polir la plaque par un chaudronnier. Si le graveur devait polir une plaque ou une partie de la plaque, il polissait la plaque avec du grès pour commencer, puis avec de la pierre ponce, puis avec une pierre à aiguiser douce, puis du charbon de bois de saule et enfin il terminait d'effacer les dernières rayures à l'aide d'un brunissoir. Avant de vernir la plaque, il fallait la nettoyer et la dégraisser en la frottant soit avec de la mie de pain rassis, soit avec de la poudre de craie (on utilise maintenant le blanc de Meudon) puis l'essuyer avec un linge bien propre (si la plaque n'est pas bien dégraissée, le vernis adhère mal et l'acide pénètre sous le vernis). Pour graver une plaque recouverte de vernis mou, on plaçait la plaque sur un petit chevalet de table pour éviter de toucher le vernis et on gravait à la pointe comme on aurait dessiné ou peint sur un chevalet de table. Lorsque l'on avait gravé le dessin sur le vernis on attaquait la plaque avec de l'eau-forte. Avant d'attaquer la plaque par l'acide, on protégeait le dos de la plaque ainsi que ses bords avec le mélange suif-huile. Pour réaliser l'attaque de la plaque par l'acide, il existait deux méthodes utilisées par Rembrandt. Ou bien celui-ci était versé huit à dix fois sur la plaque qui était posée sur un plan incliné (Figure), ou bien on bordait la plaque avec de la cire (on construisait un petit rempart de cire sur le bord de la plaque), puis après avoir placé la plaque à l'horizontal sur une table, on versait l'acide sur la plaque, l'acide retenu par la bordure de cire attaque le cuivre.

Manière de verser l'acide sur la plaque (A. Bosse 1645)

    De nos jours, après avoir protégé le dos de la plaque, celle-ci est immergée dans un bac qui contient l'acide. Lorsque l'attaque par l'acide était finie, pour enlever le vernis de la plaque, on chauffait la plaque pour ramollir le vernis et on l'essuyait avec un tissu imbibé d'huile d'olive.


    A ses débuts, Rembrandt utilisait très probablement un vernis mou plus ou moins transparent. Il est possible, mais nous ne le savons pas, qu'il commença à utiliser un vernis dur transparent (celui des luthiers ou des menuisiers ou des charpentiers de marine) après le début de sa collaboration avec Jan van Vliet vers 1629. L'utilisation d'un vernis dur transparent rend la pratique à l'eau-forte beaucoup plus facile. Comme Rembrandt dessinait sur la plaque sans inverser son dessin, il ne lui était pas nécessaire de calquer le dessin sur le vernis de la plaque et donc pouvait dessiner sur le vernis sans avoir à le noircir ou le blanchir. Le vernis étant transparent, il pouvait aisément faire trois attaques différentes avec des temps différents qu'il combinait avec l'utilisation de pointes de grosseurs différentes pour donner trois intensités différentes aux traits et créer ainsi l'impression de volume (voir par exemple la « Vue d'Amsterdam »). Il pouvait répéter les différentes étapes ou attaques à l'acide et/ou les effectuer dans un ordre différent. Cette technique est beaucoup plus facile à utiliser que la technique des morsures multiples de Jacques Callot. Rembrandt utilisait de l'acide nitrique faible (ou dilué) pour mieux contrôler la morsure de l'acide.

« Vue d'Amsterdam » (1641), {Rijksmuseum, Amsterdam}.

   Pour graver au trait sur une plaque de cuivre, il existe deux autres méthodes également utilisées de manière complémentaire à la technique de l'eau-forte par Rembrandt. La première méthode est de graver la plaque avec un burin qui est une tige d'acier trempé dont la section est carrée, rectangulaire ou en losange. L'extrémité est sectionnée obliquement et soigneusement affûtée. On peut creuser dans la plaque de métal un sillon très fin ou très profond dont la taille est très nette et sans rebord, le métal est enlevé sous forme de copeaux. La technique du burin est la plus ancienne (née vers 1430) mais difficile à bien maîtriser. L'un des grands maîtres du burin est Albrecht Dürer (1471 – 1528). La seconde méthode est de graver la plaque à la pointe sèche. La technique de la pointe sèche utilise une pointe en acier qui sert à graver des traits dans la plaque de métal. La pointe est plus facile à manier que le burin, elle permet de retrouver une certaine liberté du dessin et d'obtenir de très grands dégradés dans les zones sombres. Contrairement au burin, la pointe sèche n'enlève pas le métal, elle le déplace, il se forme des bourrelets de métal de chaque côté du sillon créé par la pointe. Les bourrelets de métal retiennent l'encre et lors du tirage on peut obtenir au tirage des traits beaucoup plus noirs et très épais sur le tirage. Mais la plaque est plus fragile, car lors du tirage la pression de la presse écrase les bourrelets de métal. Notons pour finir, que l'attaque directe du métal ne permet pas d'avoir un trait aussi libre que celui obtenu avec la technique de l'eau-forte.

Les autoportraits tête découverte

   « Autoportrait penché vers l'avant » (gravure, circa 1629), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cette gravure est l'un des premiers auto-portraits gravés. Elle très rudimentaire. On remarquera sur le tirage les nombreuses petites taches d'encre qui peuvent être dues soit à un polissage insuffisant de la plaque, ou à une maîtrise insuffisante du vernis mou. Cette gravure est liée aux deux peintures l'« Autoportrait au visage ombré » (circa 1628) et l'« Autoportrait » (circa 1629).

   « Autoportrait aux cheveux crépus » (gravure, circa 1628), {British Museum, Londres}. Cet autoportrait est extrêmement rare, en effet il n'existe que trois tirages de cette plaque.

    « Autoportrait à l'écoute penché vers l'avant » (gravure, circa 1628), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Il est très intéressant de comparer cette gravure à l' « Autoportrait penché vers l'avant » (circa 1628). Dans cette gravure, on distingue deux niveaux très différents dans l'intensité des traits et des hachures. Rembrandt utilise des pointes plus ou moins fines pour enlever le vernis et réalise des attaques à l'acide plus ou moins longues pour obtenir des traits plus ou moins fins ou intenses.

   « Autoportrait au nez large » (gravure, circa 1628), {Rijksmuseum, Amsterdam}.


   « Autoportrait les cheveux ébouriffés » (dessin, circa 1629, Benesch, B 54, Schatborn, S 628), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Dessin réalisé au pinceau et à la plume. Ce dessin sera suivi de la gravure « Autoportrait tête nue » (1629) et de la peinture « Autoportrait au gorgerin » (1629). On remarquera les trois manières différentes de traiter le même sujet, méthode caractéristique du travail de Rembrandt pour garder à chaque fois la même fraîcheur et ne jamais produire deux fois la même œuvre, même si la technique est différente. Ceci montre les facultés exceptionnelles d'inventivité et de mémoire de Rembrandt.

   « Autoportrait tête nue » (gravure, circa 1629), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Gravure obtenue d'après le dessin précédent « Autoportrait les cheveux ébouriffés ». Rembrandt grave sa plaque sans inverser son dessin, le tirage résultant est un très bel exemple d'autoportrait non inversé. Pour graver cette plaque Rembrandt utilise des pointes de finesses très différentes pour enlever le vernis et deux attaques à l'acide plus ou moins longues pour obtenir des traits plus ou moins fins. C'est le seul exemple de gravure pour laquelle Rembrandt a utilisé une pointe double pour graver certains traits épais.

   « Autoportrait tête nue » (gravure, circa 1629), {Rijksmuseum, Amsterdam}. On voit que Rembrandt ne maîtrise pas encore les dégradés ou des détails dans les ombres ou les zones sombres.

    « Autoportrait les cheveux rugueux » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cet autoportrait est dû à Rembrandt avec peut-être la participation de J. van Vliet.

   « Autoportrait en cape et col plat » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cet autoportrait est dû à Rembrandt et la participation probable d'un de ses collaborateurs.

   « Autoportrait aux cheveux bouclés et col blanc » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}.

   « Autoportrait aux cheveux volants » (gravure, circa 1631), {Rijksmuseum, Amsterdam}.

   Les autoportraits peints la tête découverte sont : l'« Autoportrait au visage ombré » (circa 1628) , l'« Autoportrait au gorgerin » (circa 1629) et l'« Autoportrait » (circa 1629).

Les autoportraits tête couverte


   « Autoportrait au bonnet de fourrure » (gravure, circa 1629), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Rembrandt ne maîtrise pas encore les dégradés ou des détails dans les ombres ou les zones sombres.

   « Autoportrait (?) au bonnet orné d'une boucle » (gravure, circa 1629), {British Museum, Londres}. Cette gravure est peut-être un autoportrait de Rembrandt, retravaillé par Jan van Vliet, ou bien un portrait de Rembrandt réalisé par Jan van Vliet.

   « Portrait de Rembrandt en fauconnier » (gravure, circa 1628 – circa 1637), {British Museum, Londres}. Cette gravure ni datée, ni signée représente un portrait de Rembrandt en fauconnier. Elle très intéressante car elle est un bon exemple des problèmes de datation et d'attribution. Elle a peut-être été réalisée d'après une œuvre de Rembrandt. Sa datation est estimée entre 1628 et 1637. Elle est actuellement attribuée à J van Vliet. Précédemment elle a été attribuée à Ferdinand Bol et avant à Isaac de Jouderville.

   « Autoportrait à la cape et au manteau » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Autoportrait de Rembrandt peut-être retravaillé par un de ses collaborateurs.

   « Autoportrait (?) au béret et plume » (dessin, circa 1630, Benesch, A 18a), {Musée du Louvre, Paris}. Dessin à la plume et au pinceau, avec sanguine et rehaut de blanc (la différence de couleur due à la sanguine n'est pas visible dans cette reproduction monochrome). Signé et daté 1630. Ce dessin est particulièrement intéressant pour plusieurs raisons. Il est considéré comme un autoportrait par certains experts et comme un dessin préparatoire de la gravure « Etudes » datée de 1632 (voir les deux tirages suivants). Mais d'autres experts, Benesch par exemple, considèrent que c'est un dessin d'un élève de Rembrandt. Cet autoportrait et les études suivantes sont peut-être des variantes liées à la peinture « Autoportrait au béret orné d'une plume » (circa 1629).

   « Etude d'autoportait (détail) » (gravure, circa 1632), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Détail de la plaque « Etudes » présentée ci-dessous.

   « Etudes » (gravure, circa 1632), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Plaque d'études qui contient des études de personnage, de têtes et un début d'autoportrait.

    « Autoportrait au chapeau vers avant » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}.

   « Autoportrait au chapeau de fourrure » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}.

 
   « Autoportrait au chapeau de fourrure » (gravure, 1631), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cette gravure est peut-être un autoportrait de Rembrandt, retravaillé par J. van Vliet.

   « Autoportrait à l'épais chapeau de fourrure » (gravure, 1631), {Rijksmuseum, Amsterdam}.

    Les autoportraits peints la tête couverte sont : l'« Autoportrait au béret orné d'une plume » (circa 1629), l'« Autoportrait » (circa 1630) et l'« Autoportrait en costume oriental avec un chien » (circa 1631). Il est particulièrement intéressant de comparer son « Autoportrait » de c.1630 avec le « Portrait » exécuté en 1628 par Jan Lievens {collection privée}, en effet le portrait réalisé par Jan Lievens montre le visage de Rembrandt non inversé.

Portrait de Rembrandt par J. Lievens (c. 1628), {Collection privée}


Les autoportraits d'expression de sentiment

   « Autoportrait la bouche ouverte » (dessin, circa 1629, Benesch, B 53, Schatborn, S 627), {British Museum, Londres}. Dessin fait à la plume et au pinceau. Ce dessin fut suivi par la gravure « Autoportrait la bouche ouverte » et les peintures « Autoportrait » (circa 1629a) et « Autoportrait la bouche ouverte » (circa 1629b). On remarquera de nouveau les trois manières différentes de traiter le même sujet, méthode caractéristique du travail de Rembrandt.

    « Autoportrait la bouche ouverte ou criant » (gravure, circa 1629), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Rembrandt se représente en train de crier. Gravure faite d'après le dessin précédent « Autoportrait la bouche ouverte  ». C'est un autre exemple d'un tirage non inversé d'un autoportrait car Rembrandt grave sa plaque sans inverser son dessin préparatoire.

   « Autoportrait regardant droit devant » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Il traduit toute la colère et la rage que l'on peut ressentir avant d'exploser.

   « Autoportrait le front plissé » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cette gravure est une variante de l'« Autoportrait aux cheveux crépus » (1628). Elle traduit l'irritation devant une situation que l'on désapprouve.

   « Autoportrait souriant avec chapeau » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cet autoportrait est une variante de la peinture « Autoportrait en soldat riant » (1628).


   « Autoportrait les yeux écarquillés » (gravure, circa 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cet autoportrait traduit l'étonnement et la surprise.



   Rembrandt s'entraîna à exprimer les émotions et sentiments en travaillant des autoportraits. Plus tard, une des ses grandes spécialités fut l'expression des émotions et des sentiments différents lors de la représentation de groupes de personnages, d'animaux et même de paysages. Nous allons présenter deux exemples de gravures réalisées après la période de Leiden, mais qui illustrent cette faculté exceptionnelle de Rembrandt et caractéristique de la période baroque.

   « Joseph racontant ses rêves » (gravure, 1638), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Rembrandt traita le thème de Joseph racontant ses rêves en 1633 dans une peinture à l'huile sur papier. Cinq ans plus tard, il reprend le thème en le gravant sans inverser le dessin. Joseph, le fils préféré de Jacob rêve dans un premier temps, que les gerbes de la récolte des ses frères se prosternent devant sa gerbe et dans un second temps qu'il voit le soleil, la lune et onze étoiles se prosterner devant lui. Innocent, il raconte ses rêves à son père, ses frères et des voisins (c'est ce moment-là que Rembrandt choisit de représenter). Ses frères, jaloux de la préférence que leur père accorde à Joseph, se mirent à le haïr après l'écoute de ses rêves. Jacob ayant envoyé Joseph voir ses frères, ceux-ci le kidnappèrent et le vendirent comme esclave à des Midianites (peuple d'Arabie) conducteurs de caravanes qui allaient en Égypte. Rembrandt reprit le thème dans cette petite gravure de 8 * 11 cm sans inverser le dessin du tableau (le tirage se retrouve donc inversé par rapport à la peinture). Cette gravure est un modèle de virtuosité et était très appréciée du vivant de Rembrandt. Joseph entouré par son père, ses frères et des voisins raconte ses derniers rêves. La scène contient treize personnages dont douze nous montrent leurs visages. On admirera les différentes expressions des personnages.

   Détail de la gravure « Le berger endormi » (gravure, 1644), {Rijksmuseum, Amsterdam}. C'est une petite gravure de 5,5 * 7,5 cm. Cette scène est probablement la plus charmante et la plus réussie des scènes d'expression de sentiments. D'apparence simple, elle traduit les expressions et les sentiments avec une efficacité et une virtuosité exceptionnelles. On voit le jeune garçon (un soldat) pressé de faire un câlin à sa belle, celle-ci plus timide veut s'assurer que le berger ne va pas les voir. Le berger qui ne veut pas déranger les amoureux fait semblant de dormir. Même la vache semble s'amuser avec bienveillance en observant nos trois compères.

   Enfin terminons avec une gravure d'autoportrait de scène.

   « Autoportrait en mendiant » (gravure, 1630), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Lors d'une de ses promenades, Rembrandt rencontra probablement un mendiant qui lui ressemblait et il décida de se représenter en mendiant, montrant ainsi que son cœur était proche des pauvres gens. Les citoyens d'Amsterdam étaient des Puritains, qui admettaient la liberté de pensée, mais refusaient la liberté de conduite. « En 1613, la municipalité d'Amsterdam avait interdit toute mendicité et ouvert deux établissements de rééducation forcée, le Raphuis pour les hommes et le Spinhuis pour les femmes : le mendiant n'était plus le pauvre du Moyen Age qui aidait le riche à faire son salut, mais un asocial dont l'existence était ressentie comme une menace (Renouard de Bussierre S. 1986) ».  Cet « autoportrait en mendiant » pouvait être considéré comme une provocation, mais était pour Rembrandt une manière de montrer sa volonté de liberté dans cette société très rigide. Si le XVIIe siècle est appelé siècle d'or pour Amsterdam et les Pays-Bas, la qualité de l'or n'était pas la même pour les grands commerçants, les marchands d'armes, les bourgeois et les pauvres hères.

La mise au point de sa technique de l'eau-forte

Autoportrait au chapeau et collerette (1631)


   « L'autoportrait au chapeau et collerette » est le premier autoportrait gravé de Rembrandt qui le montre en personnage important juste avant son arrivée à Amsterdam. C'est probablement l'autoportrait gravé qui fut le plus tiré pour être vendu. Lorsque Rembrandt arriva à Amsterdam en 1632 et que sa notoriété s'établit, beaucoup de gens désiraient acquérir un portrait de Rembrandt et cet autoportrait lui servit de carte de visite 'payante' pour faire sa publicité et asseoir sa notoriété.

   C'est en réalisant cet autoportrait que Rembrandt mit au point sa technique de gravure à l'eau-forte. Les différentes étapes de son travail permettent de la comprendre ainsi que sa méthode de travail, comme on va le voir par les illustrations suivantes. Il existe quinze états gravés différents de cet autoportrait. Nous ne les présenterons pas tous, nous présenterons neuf des différentes étapes gravées et trois études dessinées, qui mettent en évidence l'énorme quantité de travail, de délicatesse et de virtuosité qu'il dut produire pour la réalisation de cet autoportrait. Pour réaliser cette gravure, Rembrandt utilise un vernis transparent et ce qui lui permet de faire plusieurs attaques successives à l'eau-forte, attaques qu'il prépare avec des pointes plus ou moins fines pour enlever le vernis et des attaques à l'acide plus ou moins longues pour obtenir des traits plus ou moins fins. Si c'est nécessaire il efface au brunissoir la partie de la gravure qu'il veut retravailler et enfin il renforce certaines ombres au burin et/ou à la pointe sèche.

   Cet autoportrait montre que si Rembrandt tâtonna plusieurs années pour maîtriser l'art de la gravure à l'eau-forte, ses progrès furent fulgurants au cours de l'année 1630-1631, après sa collaboration avec le graveur Jan van Vliet.

    Lorsqu'il commence son autoportrait, il n'a pas d'idée précise de la tournure qu'il lui donnera. Pour commencer, Rembrandt grave sa tête couverte d'un chapeau.

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Il en fait plusieurs tirages qui lui permettront de dessiner pour imaginer la suite de sa gravure. Il nous reste trois études préliminaires dessinées.

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (dessin, Benesch, B 57, Schatborn, E 208a), {British Museum, Londres}. Première étude dessinée pour son autoportrait. Utilisant le tirage de la première étape, Rembrandt imagine et dessine la suite de la gravure. Cette étude est dessinée à la pierre noire. AET 24 signifie « Aetatis suae 24 », c'est-à-dire « A l'âge de 24 ans ». Le dessin étant fait en 1631, cela indiquerait qu'il a été réalisé au début de l'année 1631 avant l'anniversaire de Rembrandt, le 15 juillet.

    « Autoportrait au chapeau et collerette » (dessin, Schatborn, E 208b), {Bibliothèque nationale, Paris}. Seconde étude dessinée, elle est également réalisée à la pierre noire. On remarquera que ces deux études sont différentes de la version finale que choisira Rembrandt.

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Britsh Museum, Londres}. Avant d'aborder la gravure de son habit, Rembrandt reprend la gravure de la tête couverte d'un chapeau. Dans cette étape, il travaille probablement au burin plutôt qu'à la pointe sèche, les parties sombres du chapeau, du visage et des cheveux. En effet cet autoportrait est celui qui a été le plus tiré et les zones travaillées à la pointe sèche s'écrasent très rapidement au tirage, ce qui n'est pas le cas des zones travaillées au burin.

    « Autoportrait au chapeau et collerette » (dessin), {Britsh Museum, Londres}. Puis il dessine à la pierre noire une esquisse de l'habit qu'il va graver (notons que certains experts ne sont pas sûrs que cette étude soit de Rembrandt lui-même).

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Bibliothèque nationale, Paris}. A cette étape, Rembrandt a construit le personnage et la forme générale de son habit sans travailler ni le décor de l'habit ni le fond de la plaque. Il est suffisamment content de cette étape pour la signer en haut à gauche. Signature qui disparaîtra dans les étapes suivantes et ne sera pas la signature finale de la plaque.


   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Britsh Museum, Londres}. Dans cette étape Rembrandt retravaille le manteau sur son avant-bras gauche.

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Bibliothèque nationale, Paris}. Dans cette étape, Rembrandt travaille les broderies et les détails de l'habit, du haut de son bras gauche, de l'arrière du manteau et le bas de la manche droite. Pour réaliser ces broderies, il a d'abord dû effacer avec un brunissoir les hachures de l'étape précédente, ce qui représente un très gros travail à réaliser avec beaucoup de délicatesse et de virtuosité. C'est l'exemple même d'une erreur de jeunesse que Rembrandt prit garde de ne pas répéter par la suite, ne pas couvrir de hachures les zones qui doivent être dessinées plus tard; voir par exemple la gravure « Le Christ devant Pilate (1) » et « Le Christ devant Pilate (2) » (1635).

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Bibliothèque nationale, Paris}. Dans cette étape, pour rendre le volume, Rembrandt travaille le fond de la plaque qui donne la profondeur et la mise en lumière.

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Dans cette étape Rembrandt travaille les bords du fond de la plaque et enlève les gros défauts des bords de la plaque qui existaient dans l'étape précédente. La collerette est encore inachevée.

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cette étape correspond à la version achevée de la gravure. Rembrandt finit la collerette et signe la plaque en haut à droite.

   Cette gravure fut suivie par deux autoportraits peints en 1632, un premier « autoportrait au chapeau et collerette » (1632a) et un second « autoportrait au chapeau et collerette » (1632b) ainsi qu'une copie dû à l'un de ses élèves.

   « Autoportrait au chapeau et collerette » (gravure), {Rijksmuseum, Amsterdam}. Le dernier état connu de la plaque. La partie la plus claire du fond a été effacée à l'aide d'un brunissoir. Une eau-forte gravée sur cuivre permet entre cent et cent cinquante tirages avant que la plaque écrasée par la pression de la presse ne nécessite un nouveau travail de gravure. Il montre l'état d'une plaque qui a été tirée un très grand nombre de fois et dont les traits ont dû être retravaillés au burin pour compenser leur écrasement du à la pression lors des tirages. Cet auto-portrait eu tellement de succès qu'il fut copié par Jan van Vliet en 1634 « Rembrandt autoportrait ».

La collaboration avec Jan van Vliet


    Rembrandt fait imprimer ses premières plaques en 1626 et sa production de gravures ne commence sérieusement qu'en 1628-29. Vers 1629, Rembrandt acquiert une presse et commence une collaboration avec le graveur de Leiden Jan van Vliet. Celui-ci avait probablement une expérience et des connaissances de la technique de gravure supérieures à celles de Rembrandt, et c'est peut-être lui et sa collaboration avec Rembrandt qui ont permis à ce dernier son éclosion en tant que graveur durant les années 1630-31. Il est possible, mais nous ne le savons pas, que Jan van Vliet initia Rembrandt à l'utilisation d'un vernis dur transparent, par exemple le vernis des luthiers utilisé par Jacques Callot, ou le vernis utilisé par les menuisiers ou celui des charpentiers de marine. Il l'initia probablement à la technique du report d'un dessin sur une plaque et à l'utilisation du burin. Jan van Vliet joua un rôle important car il fit connaître l'œuvre de Rembrandt en la gravant. La collaboration entre Jan van Vliet et Rembrandt se poursuivit après son installation à Amsterdam. Rembrandt inspira Jan van Vliet pour le choix des sujets de ses gravures, les mendiants (« Mendiant » c. 1632), les scènes de la vie courante (« Les joueurs de carte » c. 1634), les scènes bibliques (« Le baptême de l'eunuque » c. 1631). Si Jan van Vliet apporta à Rembrandt ses connaissances de la technique de la gravure, il n'avait pas l'imagination, l'originalité et la créativité de Rembrandt.

    En 1631, lorsque Rembrandt mit au point sa technique de l'eau-forte avec son « Autoportrait au chapeau et collerette », Jan van Vliet était capable de graver avec le même niveau de virtuosité comme le montrent ses gravures « Loth et ses filles », « Le baptème de l'eunuque » et « Anne la prophétesse ».

    "Lot et ses filles" (c. 1631), gravure de J. van Vliet reproduisant le dessin "Lot et ses filles" (c. 1631) de Rembrandt ou de son atelier.

    Rembrandt n'aimait jamais dessiner deux fois la même chose et il gravait sans inverser son dessin pour garder la spontanéité du trait. C'est probablement Jan van Vliet qui l'initia à la technique du report d'un dessin sur la plaque vernie avant de la graver lors de la réalisation de la gravure « Diane au bain ». (technique qui sera expliquée dans le chapitre des scènes de vie intimes lors de l'étude de la gravure « Diane au bain »).

    Jan van Vliet travailla avec Rembrandt pour la réalisation de gravures, par exemple « La décapitation de Saint Jean Baptiste » (c. 1631) et de ses deux plus grandes plaques « La grande descente de croix » (c. 1633) et « Le Christ devant Pilate » (c. 1635).

    Jan van Vliet joua également un rôle important pour faire connaître et diffuser l'œuvre de Rembrandt en la gravant (la gravure était le seul moyen de reproduction des dessins ou des peintures au XVIIe siècle). Citons par exemple, les gravures « Loth et ses filles » (c. 1631) et « Anne la prophétesse » (c. 1631-34),

"Anne la prophétesse" (c.1631-34), {Rijksmuseum Amsterdam}

     "Anne la prophétesse" (c. 1631-34), gravure de J. van Vliet reproduisant la peinture "Anne la prophétesse" de Rembrandt (c. 1631).

ainsi que l'« Autoportrait de Rembrandt » (c. 1634) qui est la copie de l'autoportrait de 1628 et la copie de 1634 de l'« Autoportrait au chapeau et collerette » (c. 1631).

Hercules Segers et Rembrandt


    Hercules Segers (Haarlem c. 1589-90, Amsterdam c. 1637-38) est un peintre et graveur très original et qui fut l'un des plus grands expérimentateurs dans le domaine de la gravure. Il eut une vie difficile, il connut la faillite et eut une fin tragique. S'étant mis à boire sur la fin de sa vie, il serait mort de la suite d'une chute dans un escalier. Samuel van Hoogstraten, dans son « Introduction à la grande école de la peinture » le présente comme un génie solitaire, pauvre et incompris.

   Hercules Segers est probablement le peintre graveur Hollandais le plus singulier du Siècle d'Or, voir par exemple: « L'arbre mousse », eau-forte et aquarelle {Rijksmuseum Amsterdam}, les peintures  « La rivière dans la vallée », {Rijksmuseum Amsterdam} et « Le paysage de montagne », {Musée Bredius, La Haye}.

   Il était plus inspiré par la tradition de la peinture imaginaire et fantastique du peintre graveur allemand Altdorfer (c. 1480, 1538) qui plaça le paysage comme élément principal de son travail ("Epicéa", eau-forte colorée à l'aquarelle, "Paysage de montagne avec arbre", peinture, "Paysage de montagne", peinture), que par la tradition de la l'école flamande définie par Breughel l'Ancien : « Peignez ce que vous voyez ». En tant que graveur, Segers expérimenta des techniques de gravure (l'aquatinte en utilisant de la poudre de colophane) et surtout d'impression. Lorsqu'un artiste conçoit et créer une œuvre, il peut avoir à l'esprit de multiples variantes de son œuvre, voir l'extraordinaire exemple présenté par Pablo Picasso dans le documentaire d'Henri Clouzot, "Le mystère Picasso" (44e minute et suivantes). La gravure permit à Segers de présenter les différentes variantes de l'œuvre qu'il était en train de créer. Il considérait que chaque tirage pouvait être unique et les tirages de Segers deviennent de véritables tableaux. Rappelons qu'en général, lorsque le graveur a fini de graver sa plaque, il la donne à un imprimeur qui en fait une série de tirages identiques. Lorsqu'il imprimait une plaque, Segers pouvait préparer la feuille en la peignant à l'aquarelle, en utilisant des encres de différentes couleurs pour imprimer la plaque, en peignant à l'aquarelle ou à l'huile le tirage après impression, il pouvait également imprimer sur tissu ou même en découpant le tirage pour obtenir un autre format. Il réalisait des contre-épreuves (une contre-épreuve est le tirage que l'on obtient en remplaçant sur la presse, la plaque de cuivre par le tirage que l'on vient de faire, on le recouvre d'une feuille de papier et on en fait un tirage avec la presse; la contre-épreuve est donc inversée par rapport au tirage original et les couleurs plus pâles). Nous présenterons l'exemple de six variantes de la gravure « Paysage à la branche de sapin ».
   Première variante: eau-forte imprimée avec de l'encre bleu foncé sur coton préparé avec un gris jaunâtre puis coloré avec des variétés de brun, du vert, du vert bleuté, du bleu grisâtre ... C'est un très bel exemple de tirage de Segers qui devient un véritable tableau.
    Deuxième variante: eau-forte imprimée sur un papier préparé couleur crème. H. Segers utilise une plaque qu'il vient d'imprimer et au lieu de l'encrer, il huile la plaque puis fait un tirage, avec le temps l'huile devient brune, {Rijksmuseum, Amsterdam}. Troisième variante: eau-forte imprimée à l'encre brun foncé sur un papier préparé couleur brun violacé {Rijksmuseum, Amsterdam}. Quatrième variante: eau-forte imprimée avec de l'encre bleue sur un papier teinté en brun clair {Rijksmuseum, Amsterdam}. Cinquième varianteeau-forte imprimée à l'encre noire  sur papier avec un gris clair. Après impression le tirage est complété avec des aquarelles bleue et brune {Rembrandt House Museum, Amsterdam}. Sixième variante: Contre-épreuve d'un tirage imprimé à l'encre verte sur un coton teinté en jaune-marron, avec des rajouts de peinture à l'huile {Rijkemuseum, Amsterdam}.

   Cette extrême singularité fit que H. Segers ne fut pas connu du grand public mais fut admiré par un petit cercle de collègues peintres et graveurs dont Rembrandt faisait partie. Notons que Rembrandt avait également à l'esprit les multiples variantes de l'œuvre qu'il créait, ce qui lui permettait de ne jamais faire deux fois le même dessin de la scène qu'il voulait représenter.

    Même si Rembrandt et Hercules Segers n'habitèrent pas Amsterdam à la même période, Rembrandt connaissait bien l'œuvre de Segers et le considérait comme son maître. Il l'admirait pour ses recherches et sa technique exceptionnelles en gravure, son originalité, sa créativité, l'indépendance et la liberté de son style. Rembrandt possédait huit peintures, plusieurs tirages de ses gravures et même une plaque « Tobias et l'ange » d'Hercules Segers.

    H. Segers influença Rembrandt en peinture et gravure :
  • 1) Peinture: les ciels, les lumières et les atmosphères des paysages de Segers (par exemple : « Le paysage de montagne » {Galerie Uffizi, Florence}, acheté et retravaillé par Rembrandt, ou « La rivière dans la vallée » {Rijksmuseum Amsterdam}, ont inspirés Rembrandt lors de ses peintures de paysages : « Paysage d'orage » (1638) {Musée Herzog Anton Ulrich, Brunswick}, « Le pont de pierre » (1638) {Rijksmuseum Amsterdam} et « Le bon samaritain » 1638) {Musée Czartoryski, Cracovie}.
  • 2a) Gravure: Avant Rembrandt, le but ultime de la technique de l'eau-forte était de pouvoir atteindre un résultat comparable à la gravure au burin (A. Bosse 1645). Mais pour Rembrandt l'intérêt de l'utilisation de l'eau-forte est d'obtenir toutes les nuances que permet la peinture, de pouvoir réaliser de véritables tableaux gravés avec des dégradés et des détails dans les ombres et les zones sombres. Très rapidement après la mise au point de sa technique de l'eau forte (1631), les gravures de Rembrandt deviennent comparables à des tableaux qui traduisent et décrivent des scènes de vie, par exemple: "Le chasseur de rats" (1632), "La grande résurrection de Lazare" (1632), "Le bon Samaritain" (1633), "La grande descente de croix" (1633). Ces gravures permettent à Rembrandt de donner libre cours à sa fantaisie et son imagination. 
    Si les tirages de Rembrandt deviennent de véritables tableaux, contrairement à H. Segers, Rembrandt obtint ce résultat sans rajouter des couleurs sur le papier avant ou après le tirage.

"La grande résurretion de Lazare" (c. 1632) {Rijksmuseum Amsterdam}

    "La grande résurrection de Lazare" (1632), gravure. On remarquera que Rembrandt ne fait pas une simple copie de la peinture, mais refait une nouvelle représentation de la scène.


"Le bon Samaritain" (c. 1633), {Rijksmuseum, Amsterdam}

   "Le bon Samaritain" (1633) gravure. De nouveau Rembrandt ne fait pas une simple copie de la peinture et bien que ce soit une scène biblique, il la situe à la campagne et rajoute, au premier plan, un chien qui fait ses besoins. Ceci est caractéristique du côté facétieux et provocateur de Rembrandt. Ce thème sera repris plus tard en peinture.

"Paysage avec le bon Samaritain" (c. 1638), {Musée Czartoryski, Cracovie}

   "Paysage avec le bon Samaritain" (c. 1638) peinture, quelques années plus tard, Rembrandt retraite le thème du bon Samaritain dans un paysage directement inspiré des paysages d'Hercules Segers.


"Descente de croix" (c. 1632-33), {Alte Pinakothek, Münich}

    "Descente de croix" (c. 1632-33) Peinture. Rembrandt utilise cette scène pour placer un autoportrait (l'homme en bleu qui tient le bras droit du Christ). Il gravera le thème un an plus tard.

"La grande descente de croix" (c. 1633), {Rijksmuseum, Amsterdam}

   "La grande descente de croix" (c. 1633) gravure. Rembrandt utilise cette scène pour placer un autoportrait (l'homme sur l'échelle qui tient le Christ). Il retraitera le thème un an plus tard.
   "Descente de croix" (c. 1634). On remarquera les trois manières différentes de traiter le même sujet. On comparera les versions de Rembrandt influencées par celles de Rubens, "Descente de croix" (ca 1611-12), {Musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg}, "Descente de croix" (ca 1612-14), {Cathédrale Notre Dame d'Anvers}, "Descente de croix" (ca 1616-17), {Musée des Beaux-Arts, Lille}

  • 2b) Si la plupart des graveurs donnaient leurs plaques à un imprimeur pour en faire les tirages, Rembrandt, comme H. Segers, réalisaient leurs tirages. Rembrandt essaya à plusieurs reprises des tirages avec des encres de différentes couleurs et il prenait un très grand soin pour l'essuyage de l'encre, ce qui permet d'accentuer les contrastes (les zones sombres étant moins essuyées que les zones claires ou blanches), de créer des atmosphères différentes et enfin pour le choix du papier lors du tirage. Rembrandt préférait faire des tirages sur les papiers qui venaient de Chine ou du Japon (voir les détails complémentaires dans le paragraphe suivant "Rembrandt et la technique de l'eau forte").
  • Rembrandt retravailla la plaque d'Hercules Segers « Tobias et l'ange » (c. 1630-33) pour en faire « La fuite en Egypte » (c. 1653) en conservant le paysage.

"Tobias et l'ange" (c. 1630-33), {Rijksmusem Amsterdam}

   "Tobias et l'ange", tirage de la plaque d'Hercules Segers que possédait Rembrandt.

"La fuite en Egypte" (c. 1653), {Rijksmuseum Amsterdam}

   "La fuite en Egypte" (c. 1653). Rembrandt a effacé une partie de la plaque d'Hercules Segers (les personnages de Tobias et l'ange), il a gardé une grande partie du paysage et la transformée en "La fuite en Egypte".

"La fuite en Egypte" (c. 1653), {Rijksmuseum Amsterdam}

   "La fuite en Egypte" (c. 1653). Ce tirage diffère du tirage précédent par un essuyage moindre de l'encre et un autre choix de papier. On remarquera les atmosphères très différentes qui se dégagent de ces deux tirages.

Références
  • Rowlands J., 1979, Hercules Segers, George Braziller, New York
  • Sloten van L. & de Jongh E., 2016, « Under the Spell of Hercules Segers, Rembrandt and the moderns », W Books, Zwolle

Rembrandt et la technique de l'eau-forte


    De nombreux peintres faisaient réaliser leurs gravures par des graveurs imprimeurs professionnels. Ils fournissaient le dessin qu'ils désiraient graver à un graveur et celui-ci gravait généralement la plaque au burin en inversant le dessin original puis il en effectuait les tirages (voir la gravure de 1642 d'Abraham Bosse qui représente un atelier d'imprimeur).

Atelier d'imprimeur (A. Bosse c. 1642)

    Un atelier d'imprimeur. On voit au fond un imprimeur encrant une plaque, au premier plan à gauche un imprimeur essuyant l'excès d'encre sur la plaque avant de l'imprimer et au premier plan à droite un imprimeur qui imprime la plaque après l'encrage et l'essuyage.

   Pour Rembrandt, la gravure et l'impression de la plaque étaient beaucoup trop importantes pour qu'il les confie à un graveur imprimeur. Pour garder la liberté et la spontanéité du trait, il utilisait la technique de l'eau-forte et n'inversait pas son dessin. Il utilisa très rarement la technique du report d'un dessin. La gravure lui permettait de donner libre cours à son imagination, sa fantaisie et à ses recherches (voir l'exemple exceptionnel d'étude de représentation du volume dans le portrait de Jan Cornelis Sylvius). Influencé par Hercules Segers, Rembrandt essaya des encres de différentes couleurs (voir les exemples: "Le Christ et la femme de Samaria" (c. 1634), "La mort de la Vierge" (c. 1639), {Rijksmuseum Amsterdam}, "Tobit aveugle" (c. 1651) et "David en prière" (c. 1652), {Rijksmuseum Amsterdam}),

et expérimenta différents supports ou papiers pour imprimer. Rembrandt aimait faire des tirages sur les papiers qui venaient de Chine ou du Japon, il essaya même des tirages sur parchemin.

"Le Christ chassant les marchands du temple" (c. 1635), {Rijksmuseum Amsterdam}

   "Le Christ chassant les marchands du temple" gravure (c. 1635), {Rijksmuseum Amsterdam}. Rembrandt réalisa ce tirage sur parchemin !

"La pièce de cent florins" (c. 1648), {Rijksmuseum Amsterdam}

   "La pièce de cents florins" gravure (c. 1648). Ce tirage est un exemple de tirage fait sur papier Japon.


   Après avoir mis au point sa technique de l'eau-forte, Rembrandt comprit qu'en faisant plusieurs attaques successives à l'eau-forte en utilisant un vernis transparent, il pouvait obtenir des ombres, des zones sombres ou des dégradés (voir par exemple les autoportraits de la période de Leiden et « L'homme dessinant d'après un plâtre » (c. 1641), et même faire des détails et des nuances dans les ombres ou les zones sombres. Pour obtenir les plus beaux effets dans les lumières et les ombres ou les détails dans les zones sombres, Rembrandt compléta la technique de l'eau-forte par l'utilisation du burin et/ou de la pointe sèche. Il commençait la construction et le placement des ombres et des zones sombres à l'eau-forte, voir la plaque inachevée « Le dessinateur d'après un modèle » (c. 1639). Citons comme exemples de plusieurs attaques successives à l'eau-forte, les gravures « La vue d'Amsterdam » (c. 1641), « L'homme dessinant d'après un plâtre » (c. 1641), « La femme juive (1) » et « La femme juive (2) » (c. 1635) , « Le Christ devant Pilate (1) » et « Le Christ devant Pilate (2) » (1635). Enfin, il travaillait la plaque au burin et/ou à la pointe sèche, citons comme exemples, cinq des plus belles et des plus techniques gravures de Rembrandt « L'annonciation aux bergers » (1634), « Le peseur d'or » (c. 1639), « Les trois arbres » (c. 1643), « Portrait de J. Six » (c. 1647) et « La pièce de cent florins » (c. 1648). Une gravure à l'eau-forte permet d'effectuer entre cent et cent cinquante tirages.

    La technique de la pointe sèche utilise une pointe en acier qui sert à graver des traits dans la plaque de métal. Citons deux exemples de gravures à l'eau-forte complétées à la pointe sèche, « La mort de la Vierge » (c. 1639) et « Le Christ crucifié entre deux larrons » (c. 1641). Rembrandt utilise la pointe sèche pour réaliser les noirs les plus intenses. Une gravure à l'eau-forte complétée à la pointe sèche ne permet d'effectuer qu'une quinzaine de tirages car la pression de la presse écrase rapidement les bourrelets de cuivre qui est un métal peu dur. A partir de 1648 il utilisa de plus en plus la pointe sèche dans ses gravures, et réalisa même certaines gravures uniquement à la pointe sèche, ce qui dérouta ses admirateurs et les collectionneurs. Citons par exemple, les paysages « Le bouquet d'arbres » (c. 1652), « Le canal » (c. 1652), et la gravure « Ecce homo » (c. 1655) qui n'a été tirée qu'à huit exemplaires.

    La gravure au burin utilise un burin qui sert à graver des traits dans la plaque de métal. Citons deux exemples de gravure à l'eau-forte complétées au burin, « La grande descente de croix » (c. 1633) et « Le Christ devant Pilate » (c. 1635). Une gravure à l'eau-forte complétée au burin permet d'effectuer entre cent et cent cinquante tirages.

   Pour travailler ses plaques, Rembrandt pouvait utiliser un tirage sur lequel il dessinait, voir les exemples de "L'autoportrait au chapeau et collerette"  présentés dans la section: La mise au point de la technique de l'eau-forte, et le "Portrait de la mère de Rembrandt".

   Dans le cas des plaques très compliquées, Rembrandt réalisait une contre-épreuve sur laquelle il dessinait. La contre-épreuve étant un tirage inversé, elle est semblable à la gravure sur la plaque de cuivre. Après avoir mis au point son dessin sur la contre-épreuve, il n'avait plus qu'à le redessiner sur le vernis de la plaque pour obtenir le nouvel état de la plaque. Il existe très peu d'exemples de ce type. C'est le cas de la contre-épreuve du premier état de la plaque "Le peseur d'or" {The Baltimore Museum of Art}.

    S'il le jugeait nécessaire, Rembrandt pouvait effacer une partie de la plaque au brunissoir-grattoir. Il utilise la partie grattoir (en forme de triangle dont les bords sont coupants) qui permet d'enlever les bourrelets de métal et de gratter le cuivre autour des traits, puis la partie brunissoir (arrondi et lisse) qui écrase le cuivre et efface les restes des traits gravés et les rayures faites par le grattoir. Cette opération est très longue et difficile car les plaques utilisées par Rembrandt étaient peu épaisses. Il peut changer une grande partie de la plaque pour la retravailler et modifier fortement le traitement du sujet. Citons par exemple, « L'autoportrait au chapeau et collerette » (c. 1631) (réalisation des broderies, avant et après), puis beaucoup plus tard les grandes modifications, « La fuite en Egypte » en utilisant une plaque d'Hercules Segers de c. 1630-33, « Les trois croix » (c. 1653), premier état et quatrième état et « Le Christ présenté au temple » (c. 1655), troisième état et septième état. Effacer une partie d'une plaque au brunissoir représente un travail considérable et montre que pour Rembrandt seul compte le résultat qu'il voulait obtenir indépendamment de la quantité de travail qu'il devait fournir pour atteindre le but qu'il s'était fixé.

   Pour Rembrandt, il n'existe aucune règle prédéfinie, seul compte le résultat qu'il veut atteindre. Il adapte les règles et la technique qu'il utilise au sujet qu'il traite et en fonction du résultat qu'il veut obtenir.

    Après sa mise en faillite, la saisie de sa presse et son déménagement en 1660, il ne put pas réinstaller un atelier de gravure aussi bien équipé et ne produisit que deux gravures.

    Contrairement à Albrecht Dürer, Rembrandt ne grava jamais sur bois, très probablement parce que la gravure sur bois n'offre pas la liberté du trait que permet la gravure à l'eau-forte.

Les ingrédients utilisés


   Des progrès importants furent réalisés au cours des siècles lorsque les alchimistes utilisèrent les exsudats secrétés par certains végétaux (un exsudat est la substance qui s'écoule à l'extérieur du végétal, par exemple la résine du pin) et les distillèrent. L'utilisation de résines ainsi que la distillation sont connues depuis l'antiquité. Pline l'Ancien (23, 79) rapporte qu'on extrayait la poix liquide par distillation de la résine du pin cembro ou de l'épicéa ainsi que d'arbres orientaux comme le térébinthe, le lentisque, le cyprès. Cette poix liquide était employée en Égypte pour la momification des corps. La poix liquide peut être réduite au feu et coagulée au vinaigre, et servait alors à imperméabiliser les amphores. Les Grecs calfataient les navires avec de la poix mêlée de cire et ils utilisaient également la distillation pour obtenir des liqueurs. Le premier alambic est décrit au IVe siècle (alambic de Zosine, alchimiste Grec), au cours des siècles suivants la distillation est utilisée pour purifier et obtenir de nouveaux produits, l'alcool éthylique (appelé « eau de vie » ou « eau ardente » au moyen âge), les huiles essentielles (appelées également essences végétales), les esters utilisés en parfumerie ... La distillation du pétrole est connue dès le VIIe siècle. En 1500, l'alchimiste allemand Jérôme Brunschwig (c. 1450, 1512) publie le premier traité consacré à la distillation.

    Parmi les exsudats utilisés citons :
  • la gomme arabique tirée des acacias qui est utilisée depuis les temps préhistoriques comme liant pour les peintures à l'eau (peintures rupestre, puis gouache et aquarelle),
  • les résines végétales tirées essentiellement de certains conifères. Leur distillation produit des huiles essentielles ou essences végétales ainsi qu'un solide ou un résidu très visqueux.

Unités

    Les unités utilisés dans ce paragraphe sont :
  • La Pinte de Paris: 0.952 litre
  • La Livre de Paris : 490 g
  • Le Quarteron = 1/4 de Livre 123 g
  • L'Once = 1/16 de Livre 31 g

Gravure

    Pour la fabrication :
  • 1) de l'eau-forte (l'acide nitrique) qui sert à attaquer les plaques de cuivre, on mélangeait :
    du vinaigre, du sel ammonaic (chlorure d'ammonium), du sel de mer et du vert de gris (produit de corrosion du cuivre) également appelé vert de cuivre (A. Bosse 1645). Ce mélange permet de graver avec un vernis dur ou un vernis mou.
  • Fabrication : Prenez 3 Pintes de vinaigre blanc, 6 Onces de sel ammoniac, 6 Onces de sel commun et 4 Onces de vert de gris. Après avoir pilé menu les solides, on met le tout dans un pot et l'on porte le mélange à ébullition puis on remue l'ensemble. Après avoir porté à ébullition deux ou trois fois le mélange, on a obtenu l'eau-forte que l'on laisse refroidir et reposer un jour ou deux avant de s'en servir. Si l'on veut la modérer on y ajoute un verre ou deux du vinaigre blanc que l'on a utilisé pour la fabriquer.
  • Il existait une autre sorte d'eau-forte appelée « eau de départ » qui servait à séparer l'or d'avec l'argent et le cuivre. Elle était vendue chez les affineurs et était fabriquée à base de vitriol (sulfate de fer), salpêtre … Elle ne pouvait être utilisée que sur le vernis mou car elle dissolvait le vernis dur.
  • 2) du mélange suif et huile qui sert à couvrir les zones des plaques que l'eau-forte ne doit pas attaquer, il faut :
  • De l'huile d'olive qui évite au suif de figer dès qu'il se refroidit. Du suif qui est obtenu à partir de la graisse d'animaux herbivores (mouton ou bœuf), que l'on recueille par fusion de la graisse. Le suif servait à la fabrication de chandelles, de bougies, d'onguents, de savons et de produits de graissage (dans les mécanismes en bois des moulins par exemple).
  • Fabrication : On mélange du suif de chandelle à de l'huile bien chaude. Le suif fond dans l'huile. Il faut mettre suffisamment d'huile dans le mélange pour que celui-ci reste liquide lorsqu'il se refroidit.
  • 3) du vernis dur transparent des luthiers utilisé par Jacques Callot, il faut :
  • De l'huile de lin grasse et bien claire (huile utilisée par les peintres).
    Du mastic en larmes pulvérisé. La résine mastic est tirée du pistachier lentisque (arbuste méditerranéen appelé le lentisque Pistacia lentiscus ou l'arbre au mastic). Elle est utilisée pour fabriquer le vernis dur transparent utilisé par J. Callot mais également pour fabriquer des vernis mous, des médiums oléo-résineux et des vernis en peinture à l'huile. Cette résine était la résine favorite de P. P. Rubens. La variété khia ou chia, de l'île de Chios en Grèce, est la plus réputée depuis l'Antiquité.
  • Fabrication : On fait chauffer un Quarteron d'huile de lin dans lequel on ajoute un Quarteron de mastic en larmes pulvérisé. On remue le tout jusqu'à ce que le mastic soit bien fondu. On passe alors toute la masse à travers un linge propre et fin dans une bouteille de verre que l'on bouche bien pour conserver le vernis.
  • le vernis dur de J. Callot, peut être dilué avec l'essence de térébenthine. Il est différent des vernis maigres utilisés en peinture à l'huile car il contient de l'huile de lin mais peut également être utilisé comme médium en peinture à l'huile.
  • La résine térébenthine était produite dans l'Antiquité à partir du térébinthe dont la distillation fournit l'essence de térébenthine et la colophane également appelée "arcanson" en Gascon. Des variantes  de la résine térébinthe furent produites à partir d'autres résineux (différentes variétés de pins (résine du pin), l'épicéa, le mélèze, le sapin),
    a) L'essence de térébenthine est utilisée comme solvant pour fabriquer en gravure le vernis dur utilisé par J. Callot et certains vernis mous, et en peinture à l'huile des médiums et des vernis.
    b) La colophane également appelée poix blanche est connue depuis l'Antiquité. Elle est utilisée en gravure pour la fabrication de certains vernis mous, et en poudre pour réaliser des aquatintes.
  • 4) des vernis mous. Il existe de nombreuses recettes de fabrication de vernis mous (voir l'édition de 1743 du livre d'A. Bosse). Nous en proposerons une:
  • Vernis mou de Jacques Callot. Pour la fabrication de ce vernis, il faut :
  • De la cire vierge bien blanche et nette. La cire a longtemps fait référence à la cire sécrétée par les abeilles. On peut également obtenir de la cire à partir du spermaceti de cachalot (ou blanc de baleine), de l'huile du poisson « hoplostèthe orange » et de l'huile certains végétaux (principalement le jojoba).
    En gravure, elle est utilisée pour construire un petit rempart sur le bord de la plaque, puis après avoir placé la plaque à l'horizontal sur une table, on verse l'acide sur la plaque, et pour la fabrication des vernis mous, en peinture elle est utilisée pour la fabrication de vernis mats.

    De l'ambre ou du spalt calciné (bitume calciné).
    a) L'ambre est une résine fossile secrétée il y a des millions d'années par des conifères ou des plantes à fleurs. Il en existe différentes couleurs. L'ambre est utilisée en gravure pour la confection de vernis mous, et en peinture à l'huile pour la fabrication de médiums, de vernis et des glacis (L'ambre était prisée par Salvador Dali pour réaliser les glacis). L'ambre est connu depuis la préhistoire (paléolithique: ambre trouvé dans la grotte d'Altamira en Espagne) pour la confection de bijoux (Halistattien, entre 1200 et 500 avant JC) .
    b) Le spalt est une pierre dont les fondeurs se servent pour mettre les métaux en fusion. Mais c'est le nom utilisé par les artistes peintres et graveurs pour désigner l'asphalte ou le bitume (de Judée). Le bitume existe à l'état naturel sous forme de résidu d’anciens gisements de pétrole dont les éléments les plus légers ont été éliminés par évaporation au cours du temps par une sorte de distillation naturelle. Le bitume est connu et utilisé depuis la préhistoire comme matériau d'étanchéité pour sceller les briques de terre cuite, pour la fabrication d'outils ou le calfatage des bateaux.
    Le bitume est utilisé en gravure pour la fabrication de vernis mous mais également pour réaliser des aquatintes lorsqu'il est réduit en poudre.

    Du mastic
    (voir la fabrication du vernis dur de J. Callot).

    De la poix résine
    (ancienne orthographe : « poix raisine ») ou de la poix de cordonnier. La poix est obtenue principalement par distillation de la résine brute du pin et est utilisée dans la constitution de certains vernis mous. C'est une matière collante, visqueuse et inflammable à base de résines et de goudrons végétaux, elle est surtout utilisée pour assurer l'étanchéité de divers assemblages. Il existe de nombreuses variétés de poix en fonction de leur mode de préparation et des variétés d'arbres dont on extrait la résine. La poix est connue et utilisée depuis l'Antiquité.
    a) La poix résine est obtenue en émulsionnant le résidu de la distillation de la térébenthine (colophane) avec de l'eau (Si au lieu de soutirer la colophane de l'alambic on la brasse fortement avec de l'eau, on lui fait perdre sa transparence: elle porte alors le nom de résine jaune ou poix résine).
    b) La poix de cordonnier qui est de la poix noire est obtenue par distillation de la résine de certains résineux ou du bouleau puis par combustion lente des débris résineux. Là elle se sépare en deux parties, l'une liquide qu'on nomme huile de poix, l'autre plus solide c'est la poix noire.
    c) La poix blanche désigne la colophane obtenue par distillation de la résine térébenthine.
    d) La poix de Bourgogne ou poix des Vosges est obtenue par distillation de la résine de l'épicéa.
    e) La poix naturelle est produite par distillation de la résine du Mélèze.
  • Fabrication : On prend un demi Quarteron de cire vierge, un demi Quarteron d'Ambre ou un demi Quarteron de spalt calciné (bitume calciné), un demi Quarteron de Mastic si l'on travaille en été parce qu'il durcit le vernis, ou seulement une Once de Mastic si l'on travaille en hiver, une Once de poix résine, une Once de poix de cordonnier et une demi Once de térébenthine.
    Quand toutes les matières sont prêtes, on fait fondre la cire en la chauffant et on rajoute petit à petit les poix et ensuite les poudres en remuant le mélange. Lorsque le mélange est bien fondu et homogène, on le verse dans de l'eau claire et froide et on le pétrit en boules que l'on conserve à l'abri de la poussière.
  • Le vernis mou de J. Callot, peut être dilué avec l'essence de térébenthine (voir la fabrication du vernis dur utilisé par J. Callot). 
Peinture
   Le médium est le liant que l'on ajoute à la peinture pour lui donner certaines propriétés.
  • Pour les peintures à l'eau, la gouache ou l'aquarelle, le medium utilisé est la gomme arabique à laquelle on rajoute du miel … L'utilisation de la gomme arabique est connue depuis la préhistoire (peintures rupestres).
  • Pour les peintures à l'huile en plus du mélange d'huile (par example l'huile d'oeillette ou l'huile de lin)  et de pigments (le mélange huile et pigments forme une pâte colorée), on utilise généralement les résines pour fabriquer le médium qui est le liant de la pâte colorée, mais on peut également utiliser le blanc d'œuf . Le médium permet de régler les propriétés de la pâte, sa siccativité, sa transparence, son aspect de surface, mat ou brillant, il favorise la réalisation des empâtements ou des glacis. Il existe différents types de médium en fonction de l'effet que l'on veut obtenir en peinture (empâtements, glacis …). Les médiums à base de cire d'abeille sont utilisés depuis la plus haute antiquité. Les médiums à base de résine ou de blanc d'œuf sont employés dès la Renaissance. Les médiums oléo-résineux sont composés d'une résine naturelle (l'ambre, le mastic, le copal …), d'une huile généralement cuite et d'un solvant (l'essence de térébenthine …).
    Le copal est une résine semi fossile, proche de l'ambre, mais généralement plus claire, elle est plus jeune que l'ambre. Il est généralement soluble dans l'alcool, ce qui n'est pas le cas de l'ambre. Le copal est utilisé pour la fabrication de médiums et de vernis en peinture à l'huile.
    Le vernis est appliqué sur le tableau lorsque la peinture à l'huile est parfaitement sèche (après six mois à un an). Il est appliqué pour donner un aspect mât ou brillant au tableau et protéger la peinture.
  • Le vernis doit être transparent et est constitué :
    1a) ou d'une résine naturelle tendre (le mastic) qui donne un vernis maigre,
    1b) ou d'une résine naturelle dure (l'ambre ou le copal) qui donne un vernis dur,
  • 2) un solvant qui dilue le vernis et modifie sa consistance : l'essence de térébenthine ou l'alcool (éthanol) obtenus par distillation,
  • 3) un agent matifiant éventuel (cire d'abeille) qui rend le vernis mat.
Références
  • Bosse A. (1645), Traité des manières de graver en taille douce (75 pages)
  • Bosse A. (1645, Edition de 1743), Traité des manières de graver en taille douce, édition revue, corrigée & augmentée du double (186 pages)

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